dimanche 14 février 2010

Aragon, Aurélien, Amour, St Valentin

Je lis Aurélien d'Aragon, et je suis fascinée par cette écriture, une prose qui respire le poétique, un roman plein d'ellipses. Je me souviens avoir lu les premières pages au Gibert Jeune de St Michel, et je ne sais plus pourquoi je n'ai pas tout de suite acheté le livre. Par restriction, je crois. Acte d'auto-censure dont je suis trop capable quand je veux vraiment quelquechose. Donc j'ai laissé Aurélien sur la table du Gibert, au dernier étage, à la "pochothèque"... pour finalement l'acheter six mois plus tard à la FNAC, quand j'étais en vacances à Paris cet hiver. Cette fois-ci, pas d'hésitation. Le livre m'appelait. Et quand un livre appelle si clairement - Lisez-moi!- il ne faut pas se dérober.

De belles pages sur l'amour. Pour Aragon et Aurélien, c'est un sentiment contradictoire. D'où cette affirmation, p. 258: "La contradiction, l'hypocrisie sont les éléments constitutifs du véritable amour, on ne pourrait les en arracher sans le tuer."
Je ne sais pas quoi penser.

La scène entre Aurélien et Bérénice, dans le bistro anglais... il faudrait tout recopier pour sentir l'ampleur de la scène, cet érotisme retenu, mais peut-être que ce passage renseignera un peu l'atmosphère.

... "Mais pourtant... j'ai besoin de savoir... vous allez partir?

- Dans huit... dix jours..."

Il but une grande gorgée de stout, s'essuya les lèvres avec la serviette de papier: "Dix jours... c'est une minute... et songez à tout le temps perdu ... pourquoi avons-nous perdu tout ce temps?"

Elle hésita, avant de répondre. Elle sentait bien qu'accepter de répondre, c'était tout accepter, c'était l'irréparable. Elle leva sur lui ses diamants noirs: "Nous ne l'avons pas perdu", dit-elle et sur la table sa main droite se posa sur la main gauche d'Aurélien. Il tréssaillit, et ils se turent. Ils goûtèrent cet instant banal comme peu de choses dans leur vie. Enfin, Aurélien, le premier, murmura: "Je ne savais pas, Bérénice... J'ai mis très longtemps à savoir..."

C'était une excuse. Elle ne demanda pas ce qu'il avait mis si longtemps à savoir. Elle le savait. Elle venait de lui donner le droit de l'appeler Bérénice. Il reprit: "Pour la première fois de ma vie..."

Ces mots-là étaient trop forts pour elle. Ses lèvres eurent le tremblement qui en faisaient apparaître les sillons délicats. Il crut qu'elle allait retirer sa main qui était comme une feuille. "Je ne vous crois pas", dit-elle, et il n'éprouva pas le besoin de dire: Croyez-moi, je vous en prie, parce qu'il sut que cela voulait dire : Je vous crois. Il fit tourner son poignet, glissa sa grande main sous la main frêle et creusa sa paume pour la receuillir comme une goutte d'eau. Ses doigts allongés dépassèrent la main, remontèrent sur les douces cordes qui soulèvent la délicatesse des veines. Il les appuya. Il sentit le sang battre. Il songea qu'il touchait le lieu saint des suicides, bleu comme le ciel, bleu comme la liberté:
"Je ne voulais pas y croire, - dit-il encore, - c'était si nouveau... Cela doit être terrible pour un aveugle la première fois qu'il peut voir le jour...

pp.232-233, collection folio plus

2 commentaires:

Agnès a dit…

du tango et Aragon, la belle vie !
tiens, j'ai vu un génial spectacle de danse contemporaine hier, ça devrait t'intéresser
http://www.hofesh.co.uk/media.html
les extraits ne rendent pas vraiment justice au spectacle, mais si tu as l'opportunité de les voir, ça vaut vraiment la peine

Anne Losq a dit…

Ah oui, ça donne très envie! Il y a une forte énergie qui ressort même dans les extraits vidéos... je me demande s'ils vont venir à New York? Ca vaudrait le déplacement de Bethlehem!
Sinon, j'éspère que tu vas bien, Agnès! Est-ce que vous avez un nouveau documentaire en dvd? Si tu peux m'envoyer l'adresse de votre site internet, je passerais bien y faire un tour! (et peut-être d'autres lecteurs de ce blog aussi, qui sait!)
Bises